Abnégation (flashback)

Xe'ra tend sa longue main vers Jorgen. Il n'a plus la force d'ouvrir la bouche pour parler.

C'est inutile, mon ami. Ne va pas contre la nature. J'ai vécu bien longtemps et j'en remercie la Lumière, mais tout doit avoir une fin. Tu le sais bien, non ?

Et je ne suis pas seul. Mes amis sont avec moi en ce moment même et je peux leur dire adieu.

A travers le lien mental vers Xe'ra, Jorgen perçoit en effet de lointaine présences avec qui il est en contact psychique.

Jörgen lui prend délicatement la main.

Ne pas aller contre la Nature. Tout doit avoir une fin. Ce sont parmi les plus grands principes de ma religion. Sauf si la Nature a été bafouée, et que la fin est prématurée. Là, le shaman doit agir.

Mais ce n'est pas ton cas. Je n'interviendrai donc pas, et je te laisse avec tes amis.
Et je reste. Car je suis désormais un de tes nouveaux amis, si tu le veux bien.

Jörgen jette un regard vers Lux. Un de ceux qui veulent dire "viens, tu as ta place en ce moment."

Jorgen ne connaissait pas Xe'ra depuis longtemps, mais lorsqu'il sort finalement de la grotte, près d'une heure plus tard, le vieil être lui manque déjà terriblement. Il s'en est allé en paix, mais le jeune shaman a pourtant l'impression que Xe'ra lui a laissé comme un fardeau supplémentaire sur les épaules : Celui de se montrer à la hauteur du sacrifice qu'il a fait pour lui.

Lux aussi a l'air triste.

Je n'arrive pas à croire qu'il est vraiment parti. J'avais comme l'impression qu'il était éternel. Paradoxal venant d'une Solaire, non ?

Jörgen titube sur le chemin, mais tente un sourire apaisant.

Non, tu as raison... Solaire ou pas, quand on connait quelqu'un depuis toujours, on n'imagine pas le voir partir un jour. C'est normal.
Mais ne soit pas triste. Xe'Ra voulait partir. Il a accompli son œuvre.
Désormais, c'est à vous de suivre son chemin, faire que ses rêves se réalisent. A moi aussi, maintenant. On le fera ensemble. Soupir.
Et même si je pense vraiment ce que je viens de te dire, je suis triste quand même, tu sais...

Je... Je dois rencontrer les vôtres, je dois expliquer ce qui s'est passé... Mais je suis trop fatigué. Ça fait trois mois que je n'ai pas dormi et que j'utilise mes pouvoirs en continu. Je tiens à peine debout...

Tu peux me trouver un endroit où je puisse me reposer un peu, ou je dois retourner sur mon vaisseau ?

Bien sûr que je peux. Tu es notre invité.

Lux demande un nouveau portail, qui cette fois les emmène sur un autre monde. Jorgen croirait presque être sur Terre pendant un instant. Il découvre un petit village humain, sur une lande ensoleillée. L'air y est pur, les gens ont l'air simples et charmants, et le bruit des vagues et des mouettes est plutôt apaisant.


Viens. C'est ici que je vis quand je ne parcours pas la galaxie.

C'est un endroit magnifique. Parfait pour se reposer ! Merci, Lux...
Mais... Il y a des humains ? Sur une planète que je ne connais pas ? Comment s'appelle cet endroit ?

Jörgen gonfle ses poumons de l'air marin et fait un pas chancelant. Puis, avec un petit sourire fatigué :

Après tout, ça peut attendre. Je te laisse me guider là où tu vis, si ce n'est pas trop loin. Mais je pourrais tout aussi bien m'allonger ici, et me faire bercer par la musique des vagues et le chant des mouettes...
J'aime cet endroit. Tout est beau et calme, ici.
Le Berger est vraiment épuisé, toute Source pourrait le sentir. Trop épuisé pour s'inquiéter d'avoir été isolé de son vaisseau et de tout ce qu'il connait. Après tout, il se sent en sécurité, et son instinct ne l'a que très rarement trahi.

En gros, il se laisse mener.

Lux lui fait rapidement visiter l'endroit et le présente aux habitants, qui sont moins d'une centaine. Leurs ancêtres sont venus habiter cet endroit il y a trois générations seulement. C'étaient des séclantis, qui se sont volontairement exilés loin de la frontière avec le seclec pour changer de mode de vie. Le moins que l'on puisse dire est qu'ils ont réussi. Ils suivent les principes de la Lumière, de façon très simple, pratiquent la pêche et l'agriculture, et quoiqu'ils aient accès à la technologie, ils semblent en limiter l'usage au maximum.

Lus le conduit ensuite dans la maison qu'elle occupe. Celle-ci est plutôt dépouillée : Elle ne doit pas y passer beaucoup de temps. Il y a tout de même plusieurs chambres, l'eau courante, et des lits confortables, mais pas d'électricité.

Fais comme chez toi, d'accord ?

D'accord. Je te prends au mot. Ne m'en veut pas. J'ai vraiment besoin de... Une seconde.

Jörgen explore rapidement la maison. La salle de bain. Check. La cuisine, les provisions, dont il sort quelques ingrédients pour les poser sur le plan de travail. Check. Une chambre à coucher. Check. Jörgen va un peu partout, suivi de son hôte.

Ça fait trois mois que je ne me suis pas lavé. C'est une urgence...

Une dizaine de minutes plus tard...

je n'ai pas mangé, ni bu non plus, depuis aussi longtemps... Et il avale quelques légumes et tubercules, une bonne rasade d'eau, puis se dirige vers le lit qu'il a déjà repéré. Le Berger se laisse tomber dedans. Il enlève sa chemise, passe sous les draps, et livre ses dernières paroles avant de rejoindre Morphée.

La dernière fois que je me suis concentré aussi longtemps, j'ai dormi un mois de suite. Mais cette fois-ci je ne peux pas me donner autant de temps... Tu veux bien me réveiller dans 24 heures, au plus ? Je risque d'avoir du mal, il faudra insister. Tu veux bien, Lux ?

J'espère que je vais faire de beaux rêves...

Ellipse ?

Après avoir été réveillé, non sans mal, une journée plus tard, Jörgen a profité du petit déjeuner pour se remettre les idées au clair.
Cela fait bien longtemps qu'il est parti. Bien trop longtemps.
Évidemment, il aurait aimé être présenté aux compagnons de Lux, mais cela pourra attendre. Désormais, il est d'une certaine façon lié à l’église de la Lumière.
Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il revienne en tant qu'ambassadeur. Un vrai, cette fois-ci. En pleine possession de ses moyens.
Et c'est ce qu'il explique à Lux, avant de lui dire au revoir, de la remercier pour son accueil et pour tout ce qu'elle a fait pour lui. Un dernier moment pour se recueillir en pensant à Xe'ra, puis il retourne vers son vaisseau.

De là, il part vers l'Octoèdre. Sxirxinx profite du voyage pour examiner le schéma psychique du Berger, qui est finalement téléporté vers la planète verte.

Une fois au sol, il lance un appel laconique sur son communicateur. Je suis rentré. Vous pouvez me rejoindre chez moi.
Il ressort sa canne à pêche, continue ses soins réguliers, et attend de voir qui pointera le bout de son nez en premier...

En un flash, Aliénor pointe le bout de son nez.

Yop ! T'étais parti, pour revenir, j'imagine ? Allez, raconte à maman tes péripéties. Je suis sûre que tu en meuuuurs d'envie.

Jörgen jette un regard vers la nouvelle arrivante. Un sourcil se fronce presque imperceptiblement, puis il fait un vague sourire à Ali avant de replonger son regard ver le lac et le bouchon qui flotte à sa surface, quelques mètres plus bas.

Je ne m'attendais pas à ce que tu sois la première personne qui passe... Mais bienvenue à toi. Je suis content de te revoir.

Je suis parti quatre mois.
Pour faire des recherches sur l'Ennemi.
J'ai réveillé un Dieu ancien. Un de ceux prié par un peuple qui a vécu jsute après l'Impérium. Il m'a donné des informations intéressantes.
Puis, j'ai suivi les pistes qu'il m'a donné.
Ca m'a mené en territoire Seclanti, puis sur Lusera Mana, la planète-capitale de l'église de la Lumière.

Dit ainsi, ça a l'air cool. Alors pourquoi tu fais la gueule ?

Non, je ne fais pas la gueule. Je suis pensif et concentré, c'est tout.
Et c'est vrai. Ali sent d'ailleurs que Jörgen se concentre pour maintenir des flux mystiques de guérison limités mais constants autour de lui. Et oui, son cerveau tourne à pleine vitesse. Mais il y a autre chose, elle en mettrait la main à couper.
C'est marrant, j'aurais misé ma chemise que ta première question serait "qu'est-ce que tu as appris sur l'Ennemi ?" Je ne te connais pas si bien que ce que j'imaginais, après tout...

C'est clair, sinon tu saurais que j'aime être la personne cynique. Ca ne te va pas du tout. Mais bon, j'imagine que c'était ma question suivante... C'est juste que tes histoires de dieu ancien, de visite guidée de l'église des fanatiques et tout le toutim, ça laisse penser que ça n'a pas été une sinécure.

Ca et le fait que ton esprit a été trituré. T'es au courant ? Tu ressembles à rien, là tout de suite.

Non, ce n'était pas une sinécure. Ni le Dieu Raël, ni l'Eglise de la Lumière. Mais pour des raisons différentes.

Et oui, je suis au courant que mon schéma mental a été modifié. Mais je sais aussi qu'il ressemble quand même à quelque chose... Sxirxinx ne m'aura pas autorisé à rentrer ici si j'avais été trop altéré. J'ai pris mes propres précautions...

Ça ira mieux bientôt. Je suis en train de régler le problème.

Tiens. Jörgen pose sur le ponton un manuscrit rédigé de sa main. Ce sont les informations sur l'Ennemi que j'ai récolté, reproduite à la virgule près.
Il y a certaines choses que l'on savait déjà. D'autres dont on se doutait, mais qui sont confirmées. Et quelques nouveaux éléments vraiment intéressants.

C'est bien. Cool. Merci. je lirai ça très vite. Mais maintenant, il faut que tu réalises que ton esprit et ton âme sont proches, ont tous deux été touchés, visiblement, et tu as besoin de compagnie. Vas voir ta fille. Vas voir quelqu'un. Thomas, par exemple... Mais ne reste pas seul. Okay ?

T'inquiète pas, Ali. Je ne suis jamais tout seul, moi, tu sais ?
Et peut-être qu'un poisson viendra me tenir compagnie !

...

Sans rire, j'ai envoyé un message comme quoi je suis là. On verra bien qui le destin fera venir. Et quand. Rien ne presse.

Eh ben permets qu'en les attendant, je sorte mon jeu d'échecs rigelliens. Je joue les noirs.

Jörgen sort sa ligne de l'eau, et se retourne vers Ali pour la regarder en face pour la première fois depuis qu'elle est arrivée.

Ecoute, je sais ce que tu essaye de faire. C'est gentil. J'apprécie beaucoup.
Mais tu sais aussi que je n'ai aucune chance de gagner, même en jouant les blancs. Alors...

Il arrête sa phrase. Un instant de réflexion.

Mouais. De toute façon, vu que je préviens les poissons de ne pas venir bêtement mordre à l'hameçon, jouer aux échecs contre toi ne sera pas plus ridicule que pêcher.
Si tu veux voir passer le temps en ma compagnie, tu es la bienvenue.

Pauvre nullos. Le noir c'est ma couleur, voilà tout... Et si tu veux, je me multiplie, ça me mettra un handicap !

Froncement de sourcils.

Pauvre nullos ? Ali, tu oses... Sale peste !
Reste entière.
Si j'avais voulu une mise à niveau, j'aurais invoqué des experts en échecs rigelliens, des stratèges, des êtres supérieurement intelligents, que j'aurais mis en réseau grâce à une invocation télépathe, et je t'aurais battu sans difficultés...

Toi seule et entière contre moi seul et entier, c'est tout.

Mfff... Un grognement mécontent, et un petit sourire camouflé.

Jörgen bouge sa première pièce. Une entrée classique, neutre et mesurée. Puis d'autres amis finissent par arriver.

Après avoir salué les autres sources passées dire bonjour, joué et perdu contre Aliénor et avoir partagé les informations recueillies à grand prix au sujet de l'Ennemi, Jorgen finit enfin par pouvoir parler avec Jenny à l'écart.

Alors, qu'est-ce qui te tracasse ? Je vois bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas.

Oui. Parce que j'ai peur. Comme toi tu avais peur lorsque tu m'a retrouvé après mon enlèvement par les Nazis. Jörgen lui prend la main quelques instants, puis la relâche. Comme à regret.

J'ai expliqué ce que j'ai fait aux autres, tu l'as entendu aussi. Mais je leur ai donné la jolie histoire. Les informations glanées sur l'Ennemi, les liens diplomatiques avec la Lumière. Ça a été une belle réussite pour l’intérêt commun.
Mais sur le plan personnel, j'ai sérieusement merdé.
Tu veux vraiment connaître toute l'histoire ? Je ne veux pas te cacher des choses, mais je préférerais oublier tout ça...

Allez, vas-y, balance. Tant que tu ne t'es pas tapé un vilain dieu alien dans mon dos... finit-elle en plaisantant.

Euhhh... En fait, il y a bien un vilain dieu Alien dans l'histoire. Celui qui m'a échangé les informations sur l'Ennemi contre... Qui m'a pris mon...
... Comment dire ça ?
Qui m'a pris toute capacité à me soucier du bien des autres, ou de ce que les autres peuvent penser de moi. Voilà. C'est ça.
Il n'y avait plus que moi qui comptait. Et c'est là que j'ai perdu le contrôle.

Je suis désolé.

Bon, je balance l'histoire. J'espère que tu pourras me pardonner.

Et Jörgen commence à raconter en détail ce qui s'est vraiment passé. Pas tous les détails sordides, évidemment, mais suffisamment pour que Jenny comprenne son malaise.

Jenny écoute en silence, mais sa mâchoire se serre, ses mains se crispent, et elle cesse de regarder Jorgen.

Donc, si je comprends bien, tu as accepté ce... "marché"... avant qu'il ne modifie ton esprit, c'est bien ça ?

Oui. Il y a des moments il n'y a pas grand chose d'autre à dire.

Bah ! Je ne devais pas peser bien lourd dans ce marché, de toute façon, lance-t-elle d'un ton narquois, comme si cela n'avait pas la moindre importance.

Au moins, maintenant, je suis libre de baiser qui je veux. C'est toujours ça de pris.

Bon, on n'a plus grand chose à se dire, du coup, dit-elle en lui tournant le dos pour s'éloigner. Ciao.

Au contraire. Tu as pesé très lourd dans le marché, et j'ai encore des choses à te dire. Donne-moi encore cinq minutes, s'il te plaît.

On n'est plus des adolescents, Jenny. "Je t'aime plus que tout", c'est ce qu'ils disent tous. Pour moi, ce n'est pas vrai. Si je devais choisir, deux choses passent avant toi. La vie dans la galaxie, et Victoria. Rien d'autre. Le reste, ce n'est rien par rapport à vous trois.

Et là, j'étais devant quelque chose d'énorme. Une puissance monstrueuse, qui pouvait me permettre d'apprendre des choses pour sauver des milliards et des milliards de formes de vies... Et qui demandait un prix en conséquence. Il n'y avait que toi qui équivalait ça.

Je me suis fait avoir. J'ai tout raté.
Je suis le seul fautif.

Tu es libre de partir "baiser qui tu veux". Ça me ferait souffrir, mais je l'aurais bien mérité.

J'aimerais que tu me pardonnes, mais si tu ne peux pas, par pitié, il faut que l'on fasse le maximum pour que Victoria souffre le moins possible, elle...

Jenny s'arrête et lui retourne un regard de glace.

Oh oui ! Là-dessus au moins tu as raison, parce que si tu la fais souffrir avec ça, je crois que je pourrais te tuer.

Tu as choisis d'être le Berger avant d'être mon homme. Et le jour où tu devras choisir entre être le Berger et être son père, que feras-tu ?

...

J'espère que je n'aurais jamais à choisir. Mais tu as raison. Si ça arrive, il faut que je sois prêt. Jörgen se tait une ou deux secondes.
Je ferais tout pour Kallisté, même si ça implique des milliards de morts. Tu as ma parole.

Je pensais pouvoir être le Berger, un père et ton homme en même temps, tu sais. Apparemment, je ne pouvais pas. Je suis désolé.
J'aurais tant aimé...
Un jour je le serais, j'espère.

Tu crois ?

Bon, tu m'excuseras, mais j'ai une envie soudaine d'aller commettre un génocide ou deux...

Elle active sa balise et est immédiatement téléportée. Jorgen se retrouve seul...

Jörgen ne bouge pas d'un pouce pendant quelques secondes, restant ainsi à l'écart des autres.
Puis il sort de son disque son Assistant. Cela fait bien longtemps qu'il n'a pas vu la lumière du jour.

Pourvu que ce ne soit que des paroles en l'air... Assistant, pourrais-tu me dire ou se trouve la balise de Jenny ? Si elle est dans un Voyager ou une de nos bases, j'aimerai avoir accès au système de surveillance en temps réel.
Sans que personne ne s'en rende compte. Efface les traces de ton passage après coup...

Désolé, monsieur, mais miss Huxley semble avoir désactivé sa balise. Elle ne semble pas vouloir qu'on la trouve, monsieur.

Jorgen n'apprendra que plus tard que Jenny est tout simplement allée passer sa colère sur tout ce qu'elle a pu trouver comme pirates, exclavagistes et criminel de tous poils. Il lui aura fallu un bain de sang et plusieurs jours pour se calmer et réussir à faire bonne figure.

Rien du tout.

On arrête là !